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Hémorragie du post-partum : ce qu'il faut savoir

Bruno Debien

26/11/2024

 

Hémorragie du post-partum

Introduction
 

L’hémorragie du post-partum (HPP) est l'une des complications obstétricales les plus redoutées, survenant dans les premières 24 heures suivant l’accouchement ou, dans certains cas, jusqu'à six semaines après. Elle reste la principale cause de mortalité maternelle (dans le monde), représentant environ 25 % des décès maternels dans les pays à faibles ressources. Malgré les progrès médicaux, les hémorragies obstétricales continuent de mettre en danger la santé des femmes, même dans des systèmes de soins modernes, soulignant l'importance d'une gestion efficace et d'une prévention rigoureuse.

Cet article décrit en détail ce qui rend l'HPP si dangereuse, les mécanismes sous-jacents, les stratégies de traitement, et pourquoi la formation continue des professionnels de la santé est essentielle pour diminuer la morbi-mortalité.

Hémorragie du Post-partum : Définition et Diagnostic

L’HPP est définie comme une perte de sang de plus de 500 millilitres au moment de l’accouchement et dans les 24h qui suivent, quelle que soit la voie d’accouchement (voie basse ou césarienne). L’HPP est dite sévère lorsque la perte sanguine dépasse 1000 ml. Le diagnostic repose aussi sur la reconnaissance de signes cliniques tels que la tachycardie, l’hypotension et une altération de la conscience, qui indiquent un possible état de choc hémorragique débutant.

Méthodes de Quantification

Une quantification précise de la perte sanguine est essentielle pour une prise en charge rapide. L'estimation visuelle est souvent imprécise, avec des erreurs pouvant atteindre 30 % de la perte. Une méthode objective comme l’utilisation de sacs de recueil gradués utilisés systématiquement est recommandée pour améliorer l’évaluation des pertes sanguines. Seule la mesure correcte de cette perte de sang permet de guider les décisions thérapeutiques et de réduire le risque de complications sévères.

Épidémiologie de l’HPP

Les statistiques montrent que l'HPP est responsable de 16 % des décès maternels dans les pays développés et de 25 % dans les régions en développement. En France, la mortalité liée aux hémorragies obstétricales a diminué (et n’est plus la première cause de mortalité maternelle) grâce à des protocoles de prévention et de gestion plus rigoureux et à une formation rigoureuse des personnels. Néanmoins, le taux de mortalité reste préoccupant, en particulier chez les patientes ayant des facteurs de risque connus.

Paradoxalement, les données épidémiologiques révèlent que le taux d'HPP nécessitant des transfusions sanguines a augmenté au cours des dernières décennies ! Cela est attribué non seulement à une meilleure reconnaissance de l’HPP, à une meilleure prise en charge (transfusion précoce) mais aussi à des facteurs de risque croissants, comme l'âge maternel avancé, l'obésité, et l'augmentation des césariennes. Cela souligne la nécessité d'une surveillance et d'une prise en charge efficaces pour réduire la mortalité et la morbidité associées.

hémorragie


Les Causes Principales : Modèle des Quatre T

Les causes de l’hémorragie du post-partum sont regroupées sous le modèle mnémotechnique des « Quatre T » : Tonus, Trauma, Tissu, et Thrombine. Cette classification aide les professionnels de santé à identifier rapidement la source de l'hémorragie et à adapter le traitement en conséquence.


1. Tonus : L’Atonie Utérine


L'atonie utérine est la cause la plus fréquente d'HPP, représentant environ 70 % des cas. Elle se produit lorsque l’utérus ne se contracte pas efficacement après la délivrance, laissant les vaisseaux sanguins du site placentaire ouverts et entraînant une perte de sang massive. Plusieurs facteurs augmentent le risque d'atonie utérine, notamment :

●      Multiparité : Un utérus ayant subi plusieurs grossesses peut être "atone" avec des contractions moins efficaces.

●      Surdistension utérine (grossesse multiple, hydramnios, macrosomie fœtale et fibromes utérins) : La distension excessive de l’utérus par ces différents phénomènes affecte sa capacité à se contracter.

●      Ocytocine et durée du travail : utilisation prolongée et à fortes doses d’oxytocine pendant le travail (pour renforcer l’intensité ou la régularité des contractions), un travail prolongé ou au contraire très court sont associés à une incidence plus élevée d’HPP.


2. Trauma : Lésions du canal génital

Les traumatismes obstétricaux surviennent dans environ 20 % des cas d'HPP et peuvent inclure des déchirures du périnée, du vagin, ou du col de l’utérus. Ces lésions sont souvent associées aux accouchements difficiles, notamment ceux nécessitant l’utilisation d’instruments comme les forceps ou spatules. La césarienne est également une cause fréquente de saignement traumatique, l’incision chirurgicale de l’utérus augmentant le risque d'hémorragie.


3. Tissu : Rétention Placentaire

La rétention placentaire, responsable de 10 % des cas d’HPP, se produit lorsque des fragments de placenta restent dans l’utérus, empêchant celui-ci de se contracter efficacement. Le risque de rétention placentaire est accru chez les patientes ayant des antécédents de césarienne. Les anomalies de l’insertion placentaire, comme le placenta accreta, sont particulièrement dangereuses et nécessitent souvent une intervention chirurgicale.


4. Thrombine : Troubles de la Coagulation

Les troubles de la coagulation sont rares mais graves, et peuvent aggraver considérablement une hémorragie. Des conditions pathologiques comme le HELLP syndrome ou des troubles de la coagulation héréditaires peuvent compliquer la gestion de l'HPP. Ces cas nécessitent des interventions précoces comme l'administration de plasma ou de plaquettes.


Facteurs de risque : Qui est concerné ?

L'identification des facteurs de risque est clé pour anticiper et prévenir l'HPP. Cependant, il est important de noter que même les patientes sans facteurs de risque apparents peuvent développer cette complication, rendant la vigilance essentielle pour toutes les femmes en travail.


1. Antécédents Obstétricaux

●      Antécédents d'HPP : Une femme ayant déjà connu une HPP a un risque trois fois plus élevé d'en subir une autre.

●      Antécédents de césarienne : Une césarienne antérieure augmente le risque de complications, y compris l'atonie utérine et la rétention placentaire.


2. Facteurs Liés à la Grossesse

●      Multiparité : Le risque d'HPP augmente avec le nombre de grossesses, en particulier après quatre accouchements.

●      Grossesse multiple : Porter des jumeaux ou des triplés multiplie le risque de complications liées à la distension utérine.

●      Macrosomie fœtale : Un bébé pesant plus de 4 kg peut exercer une pression excessive sur l’utérus, le rendant moins apte à se contracter efficacement.


3. Conditions Médicales Préalables

Certaines conditions médicales, comme les troubles de la coagulation ou une obésité importante, augmentent le risque d’HPP. De plus, l’anémie pendant la grossesse aggrave les conséquences de la perte de sang, ce qui nécessite une préparation adéquate et un suivi attentif.

 

Un tableau récapitulatif aide à visualiser ces facteurs de risque :

 

Facteur de Risque

Description

Antécédents d'HPP

Augmentation du risque de récidive par un facteur de trois.

Césarienne

Majoration des risques de saignements et de rétention placentaire.

Multiparité

Risque accru après quatre grossesses ou plus.

Grossesse multiple

Augmentation de la distension utérine par des jumeaux ou triplés.

Macrosomie fœtale

Un nouveau-né de plus de 4 kg entraîne des difficultés de contraction utérine.

 

Prise en charge initiale :

La rapidité et l'efficacité de la prise en charge de l'HPP déterminent souvent l'issue pour la patiente. Dès qu'une hémorragie est suspectée, une équipe multidisciplinaire mixte (obstétricale et anesthésique) doit être mobilisée.


1. Au plan anesthésique

Les premières manœuvres de réanimation comprennent :

●      Monitorage continu (pression artérielle, fréquence cardiaque, oxymétrie de pouls)

●      Mesure de l'hémoglobine par micro-méthode

●      Remplissage vasculaire par solutés cristalloïdes

●      Anesthésie (ou renforcement de l’analgésie) en antibioprophylaxie pour les gestes endo-utérins

●      Oxytocine : 5 à 10 UI IV

●      Prévention de l’hypothermie

●      Vérification du groupe sanguin et des agglutinines irrégulières


2. Au plan obstétrical :

●      Délivrance artificielle (si délivrance non faite)

●      Révision utérine

●      Sondage vésical (à demeure)

●      Révision de la filière sous valves +/- sutures

●      Massage utérin

Ces premières mesures doivent être réalisées dans les 30 minutes suivant le diagnostic d’HPP.


En cas d’échec :

1. Sulprostone (NALADORⓇ)

Le Sulprostone est LE médicament utérotonique à utiliser en cas d’échec des premières mesures thérapeutiques (par oxytocine). Il s’administre au pousse seringue électrique (PSE) après dilution de 500 microgrammes dans 50ml de NaCl à 0,9% à passer une heure (50ml/h) puis relai de la même dose sur 5h (10ml/h).

L’efficacité est à évaluer après 20 minutes. En cas d’échec, envisager les étapes ultérieures (cf. ci-dessous).


2. Équipe d’anesthésie

Une série de mesures sont à réaliser en fonction de la réponse au traitement :

●      Établir une feuille de surveillance pour recueillir les éléments cliniques et thérapeutiques sur une Bilans biologiques répétés : numération globulaire et plaquettaire, bilan de coagulation, lactate, ionogramme sanguin

●      Restauration volémique : pose d’une 2ème voie veineuse de gros calibre (> 16G) et remplissage vasculaire par des solutés cristalloïdes

●      Transfusion sanguine : utilisation rapide de produits sanguins labiles en cas de choc hémorragique (objectifs : Hb > 8g/dl, Fib > 2g/l, Plt > 50G/l)

●      Acide tranexamique : 1g en 10 minutes puis 1g sur 8h

●      Prévention de l’hypothermie

●      Noradrénaline au PSE (pour un objectif de pression artérielle systolique entre 80 et 90 mm Hg tant que le saignement n’est pas contrôlé)


3. Équipe d’obstétrique

●      Tamponnement utérin : C’est une méthode mécanique permettant de contrôler une HPP causée par l'atonie utérine persistante. Le dispositif le plus utilisé est le ballon de Bakri, qui est inséré dans l'utérus et gonflé avec jusqu'à 500 ml de solution saline pour exercer une pression uniforme sur les parois de l’utérus. Cette technique est efficace dans environ 85 % des cas, ce qui en fait une intervention de première intention avant de recourir à des mesures chirurgicales. Le tamponnement utérin permet non seulement de réduire la perte de sang, mais il offre également un répit pour évaluer si d'autres interventions seront nécessaires. Une surveillance attentive est toutefois indispensable pour s'assurer que l’hémorragie est bien maîtrisée et que la patiente reste stable.

●      Embolisation : Elle est envisageable en cas de stabilité hémodynamique mais doit être disponible rapidement, soit dans le centre lui-même, soit après transport inter-hospitalier par le SAMU vers un centre de référence. Avec un taux de réussite de 90 %, l’embolisation est une option de plus en plus utilisée dans les grands centres hospitaliers.

●      Sutures de compression : les sutures de compression, comme la technique de B-Lynch, peuvent être utilisées pour comprimer l’utérus et arrêter le saignement. Cette intervention consiste à enrouler des sutures autour de l’utérus de manière à comprimer les vaisseaux sanguins qui saignent. Bien que très efficace, cette technique présente des risques, notamment la formation d'adhérences intra-utérines, qui peuvent entraîner des complications futures.

●      Ligature artérielledes artères utérines ou hypogastriques peut être nécessaire dans les cas graves pour contrôler le saignement.

●      Hystérectomie : dernier recours lorsqu'aucune autre méthode ne parvient à contrôler l’hémorragie.


4. Coordination

Les risques associés à une prise en charge multiprofessionnelle (médecins, chirurgiens et paramédicaux) et multidisciplinaire (ou événements indésirables liés aux soins) sont essentiellement liés à des défauts de compétences non techniques (leadership, conscience commune de la situation, prise de décision et travail d’équipe). La bonne communication et la collaboration entre professionnels doivent être encouragés pour diminuer le risque d’évolution défavorable.

 post partum


Complications de l’HPP

L’hémorragie du post-partum peut entraîner de nombreuses complications graves, tant immédiates qu'à long terme. Ces complications ont des répercussions non seulement sur la santé physique de la patiente, mais aussi sur son bien-être psychologique.


1. Complications aiguës

Les complications immédiates en cas de choc hémorragique (qui survient lorsque le volume sanguin diminue à tel point la perfusion tissulaire devient insuffisante) sont nombreuses : décès par désamorçage de la pompe cardiaque mais aussi, insuffisance rénale, syndrome de détresse respiratoire aigu, translocation bactérienne ou développement d’un syndrome inflammatoire à réponse systémique pouvant évoluer vers une défaillance multi-viscérale.


2. Complications à long terme

Certaines femmes qui survivent à une HPP sévère peuvent développer des séquelles durables. Le syndrome de Sheehan (nécrose de l'hypophyse due à une hypoperfusion sévère) est une complication rare mais grave qui entraîne une insuffisance hypophysaire nécessitant un traitement à vie (opothérapie substitutive).L’infertilité survient, bien sûr, si une hystérectomie a été nécessaire pour contrôler l’hémorragie.


3. Impact Psychologique

Vivre une HPP est une expérience traumatisante, et de nombreuses femmes rapportent des symptômes de trouble de stress post-traumatique (TSPT). La peur de mourir et les interventions médicales invasives peuvent laisser des séquelles émotionnelles importantes, nécessitant un suivi psychologique. Le soutien des proches et des professionnels de santé est très important pour aider les patientes à se rétablir.


Prévention de l’HPP : Recommandations de l’OMS

La prévention de l'hémorragie du post-partum est une priorité de santé publique, et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié des recommandations claires pour réduire les risques associés.


1. Gestion active du travail et de la délivrance

La gestion active du travail est une stratégie clé pour prévenir l'HPP. Elle se complète par l'administration prophylactique d’oxytocine (délivrance dirigée) : 5 ou 10 UI administrées lors du dégagement de la première épaule par voie intraveineuse lente (injection IVL sur une minute ou en perfusion de 5 minutes pour limiter les effets cardiovasculaires chez une patiente avec des antécédents cardiovasculaires). L’oxytocine est efficace et réduit de 40 à 50% l’incidence des HPP.


2. Identification des Facteurs de Risque

Une évaluation prénatale rigoureuse permet d'identifier les femmes à risque élevé d'HPP. Cela inclut celles ayant des antécédents d'hémorragie, des grossesses multiples, ou des troubles de la coagulation connus. Pour ces patientes, un plan de naissance détaillé doit être élaboré, incluant la présence d'une équipe médicale expérimentée et l'accès anticipé à des ressources d'urgence, comme les transfusions sanguines.


3. Formation et Éducation des Professionnels de Santé

L'OMS souligne également l'importance de la formation continue pour les professionnels de santé. Des simulations régulières et des protocoles de gestion des hémorragies doivent être intégrés dans la pratique clinique pour garantir que les équipes soient prêtes à intervenir efficacement. En outre, les programmes de formation doivent inclure la gestion du stress et de la communication en situation de crise.


Importance de la Formation en Urgence Obstétricale

La formation continue des professionnels de santé est clé pour gérer efficacement l'hémorragie du post-partum (HPP). Des études montrent que les équipes médicales bien formées peuvent réduire significativement la mortalité et la morbidité associées. La gestion de l’HPP repose sur des interventions rapides et coordonnées, ce qui rend la préparation indispensable.


1. Simulation et pratique in situ

Les simulations d'urgence sont un outil essentiel pour préparer les équipes. Ces exercices, réalisés dans un environnement réaliste, permettent de répéter les gestes techniques, de renforcer la communication, et d'améliorer la gestion de la crise. Des organismes comme Emergensim proposent des formations basées sur des scénarios réalistes pour entraîner les soignants à réagir rapidement et efficacement.


2. Protocole standardisé et aides cognitives

La standardisation des protocoles de gestion des hémorragies est un autre aspect important de la formation. Ces protocoles décrivent chaque étape de la prise en charge, de la reconnaissance précoce des signes à l’utilisation des interventions chirurgicales si nécessaire. Les aides-cognitives sont des résumés opérationnels faciles à appliquer qui peuvent être affichés en posters sur les murs, disponibles en version papier plastifiée sur le chariot “HPP” ou exister en version numériques (cf. AC de la SFAR). La formation des équipes à suivre ces protocoles et à utiliser les AC réduit les erreurs et améliore les résultats pour les patientes.


3. Impact des Programmes de Formation

Les programmes de formation, lorsqu'ils sont bien conçus et mis en œuvre, ont un impact tangible sur la qualité des soins. Dans les hôpitaux ayant investi dans ces programmes, le taux de mortalité maternelle a considérablement diminué. En outre, la formation aide les équipes à rester calmes sous pression et à optimiser l'utilisation des ressources disponibles, ce qui est particulièrement vital dans les situations de crise.

 

Conclusion et Perspectives

Même si elle n’est plus la première cause de mortalité maternelle en France, l'hémorragie du post-partum demeure une menace majeure pour la santé maternelle. Grâce aux avancées dans la prévention, la détection précoce et la gestion efficace, les taux de survie s'améliorent progressivement. La clé du succès réside dans une approche multidimensionnelle qui inclut l’innovation thérapeutique, l’optimisation du travail en équipes multidisciplinaire et la formation.

 

Références bibliographiques :

  1. CNGOF. Recommandations pour la pratique clinique 2014. Accessible sur http://www.cngof.asso.fr/data/RCP/CNGOF_2014_HPP.pdf.(Dernier accès le 21/11/2014)
  2. Bienstock JL, et al. N Engl J Med 2021;384(17): 1635–1645
  3. Aide cognitive de la SFAR « Hémorragie du post partum ». Accessible sur https://sfar.org/download/hemorragie-du-post-partum/?wpdmdl=31792&refresh=673f5087493981732202631 (Dernier accès le 21/11/2024)

 

 

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