Bruno Debien
04/11/2024
Dystocie des épaules : une urgence obstétricale
La dystocie des épaules est une complication rare mais grave de l’accouchement par voie basse. Elle peut générer des complications graves pour l’enfant (décès, lésions cérébrales anoxiques, lésions neurologiques, fractures, etc.) ou pour la mère (lésions périnéales, stress post-traumatique) (1). Cet article se concentre sur la définition, l’épidémiologie, les facteurs de risque, la prévention et la prise en charge en s'appuyant sur les dernières publications disponibles.
Définition de la dystocie des épaules
La dystocie des épaules au cours d’un accouchement par voie basse en présentation céphalique est définie par l’absence de dégagement des épaules du fœtus après expulsion de la tête, rendant nécessaire le recours à des manœuvres obstétricales autres que la
traction douce de la tête ou la manœuvre de restitution. En général, l’épaule antérieure se bloque derrière la symphyse pubienne, rendant l’expulsion impossible sans intervention obstétricale immédiate (2).
Epidémiologie et facteurs de risque
La dystocie des épaules survient dans 0,2 à 3% des cas lors d’accouchement par voie basse (2-7). Ce chiffre est en hausse croissante proportionnellement à l’accroissement des indices de masse corporelle maternels d’après Kaijomaa (3).
Différents facteurs de risque ont été identifiés, certains étant liés à la mère, d’autres à l’enfant (1-3, 6)
Facteurs fœtaux
-
Macrosomie fœtale : L’un des principaux facteurs de risque est un poids fœtal élevé, souvent supérieur à 4000-4500 g. Cependant, la dystocie des épaules peut également survenir chez des fœtus de poids normal
-
Fœtus masculin : Le sexe masculin a été associé à une augmentation du risque de dystocie des épaules.
Facteurs maternels
-
Diabète gestationnel : Le diabète pendant la grossesse augmente le risque de macrosomie et, par conséquent, de dystocie des épaules.
-
Obésité maternelle et prise de poids excessive pendant la grossesse sont aussi des facteurs qui augmentent ce risque.
-
Antécédents de dystocie des épaules : Les femmes ayant déjà vécu une dystocie sont plus susceptibles d’en subir une autre.
-
Âge maternel avancé (6)
Complications fœtales et maternelles
La dystocie des épaules peut entraîner des complications graves si elle n’est pas résolue rapidement et efficacement. Les principales complications incluent :
Complications fœtales
-
Lésions du plexus brachial : Ces lésions peuvent survenir en raison des tractions excessives appliquées sur le cou du fœtus pendant les tentatives de dégagement. Environ 8 à 17 % des cas de dystocie des épaules peuvent entraîner des lésions du plexus brachial et 0,5 à 2% des dystocies laissent des séquelles définitives (2, 4) !
-
Fractures de la clavicule ou de l’humérus : ce sont des fractures fréquemment associées à la dystocie des épaules (même si elles ont aussi été décrites en dehors d’une dystocie authentifiée ou après césarienne).
-
Hypoxie cérébrale : Si l’accouchement n’est pas réalisé rapidement, l’hypoxie cérébrale peut survenir, augmentant le risque de séquelles neurologiques (2)
Complications maternelles
-
Hémorragie du post-partum : Environ 11 % des femmes ayant une dystocie des épaules subissent une hémorragie après l’accouchement (7)
-
Traumatismes périnéaux : Des déchirures sévères, y compris des lésions du sphincter anal et de l’urètre, sont décrites dans 3,8% des cas (7).
Prévention de la dystocie des épaules
Elle repose sur l’anticipation des cas à risque ! Bien que la dystocie des épaules soit difficile à prévoir, certaines stratégies peuvent être mises en place pour limiter son occurrence dans les cas à risque (cf. facteurs de risque). Par exemple, la césarienne prophylactique peut être envisagée chez des femmes avec un diabète gestationnel ou une macrosomie fœtale suspectée (2).
Prise en charge pour résoudre la dystocie des épaules
La gestion de la dystocie des épaules repose sur la reconnaissance précoce, l’appel de renfort et des manœuvres spécifiques.
La reconnaissance précoce :
Le diagnostic est posé devant une tête foetale qui reste collée à la vulve, voire est aspirée. Cela survient après un dégagement difficile, une restitution imparfaite. Le travail a été long, surtout en 2ème partie (après 7 cm).
L’appel de renfort :
Selon le personnel disponible, on pourra appeler des collègues sage-femmes, l’obstétricien, l’anesthésiste et l'équipe du bloc d’obstétrique ou le personnel de réanimation néonatale.
Les manoeuvres spécifiques :
-
La manœuvre de McRoberts consiste en une hyperflexion des cuisses de la patiente sur le bassin. C’est souvent, à juste titre, la première technique utilisée. Elle augmente l’angle entre le bassin et la colonne vertébrale, facilitant la descente des épaules fœtales (2). Elle peut être associée à une pression sus-pubienne (2).
-
L’application de pression sus-pubienne vers le bas permet de réduire la pression exercée sur l’épaule antérieure du fœtus, facilitant son dégagement.
-
La manœuvre de Wood inversée est indiquée si l’épaule postérieure est engagée. Elle consiste à faire tourner les épaules du fœtus en appliquant une pression sur l'épaule postérieure, afin de les faire passer dans un diamètre plus favorable du bassin maternel.
-
La manœuvre de Jacquemier, ou extraction du bras postérieur, consiste à dégager d’abord l’épaule postérieure en accédant au bras à travers le vagin. Elle est donc indiquée lorsque l’épaule postérieure n’est pas engagée.
Tableau : Manœuvres de gestion de la dystocie des épaules
Manœuvre |
Description |
Efficacité |
McRoberts |
Hyperflexion des cuisses contre l’abdomen pour élargir l’espace pelvien. |
Très élevée |
Pression sus-pubienne |
Pression appliquée vers le bas pour aider à dégager l’épaule antérieure. |
Modérée |
Manœuvre de Woods inversée |
Rotation des épaules du fœtus dans un diamètre pelvien plus favorable. |
Modérée |
Extraction du bras postérieur |
Dégagement de l’épaule postérieure en accédant au bras du fœtus via le vagin. |
Très élevée |
Manœuvre de Gaskin |
Position quadrupédique de la mère pour faciliter l’expulsion du fœtus. |
Variable |
Simulation et prise en charge de la dystocie des épaules
L’enseignement par simulation pour la prise en charge de la dystocie des épaules est
encouragé en formation initiale et continue des différents acteurs de la salle de
naissance (2). Elle peut s’effectuer soit sous la forme d’ateliers de simulation procédurale (pour l’apprentissage des manœuvres obstétricales), soit en simulation haute-fidélité pleine échelle en équipe. Dans ce cas, elle permet de travailler les compétences techniques et non techniques (travail en équipe, leadership, conscience commune de la situation et prise de décision).
Plusieurs études ont démontré l’importance de la formation pour diminuer les complications des dystocies des épaules :
-
Draycott a montré une diminution significative des scores d’Apgar inférieurs à 7, des fractures de la clavicule, et des lésions du plexus brachial (initiales et à long terme) (4)
-
Horasanli a montré une amélioration des capacités à mettre en œuvre les manœuvres spécifiques en simulation après une formation comprenant apports théoriques et simulations procédurales et “pleine échelle” (5).
-
Kaijomaa a mis en évidence une diminution très significative du taux de lésion du plexus brachial de 0,3% à 0,01% après formation en simulation (3).
Conclusion
La dystocie des épaules reste une urgence obstétricale imprévisible, mais avec une prise en charge rapide et des manœuvres bien exécutées, les complications peuvent être limitées. La formation continue et l'utilisation de la simulation améliorent significativement les résultats pour la mère et l’enfant. L’éducation des professionnels et l’anticipation des cas à risque restent des priorités pour réduire la morbi-mortalité néonatale et maternelle associées à cette pathologie.
Références
-
Fuglsang J. Shoulder dystocia—Still a feared complication. How can we improve? Acta Obstet Gynecol Scand 2024;103:1908–1909.
-
CNGOF. Dystocie des épaules. Recommandations pour la Pratique Clinique 2015 (https://cngof.fr/app/uploads/2023/06/2015-RPC-DYSTOCIE-EPAULES-1.pdf?x29325). Dernier accès le 4/11/2024.
-
Kaijomaa M, et al. Impact of simulation training on the management of shoulder dystocia and incidence of permanent brachial plexus birth injury: An observational study BJOG 2023;130:70–77.
-
Draycott TJ, et al. Improving neonatal outcome through practical shoulder dystocia training. Obstet Gynecol 2008;112:14-20.
-
Horasanli JE, et al. Obstetric Simulation Training to Breech Delivery, Shoulder Dystocia, Forceps, and Vacuum Experience. Gynecol Obstet Reprod Med 2023;29(1):19-26
-
Harari Z, et al. Shoulder dystocia during delivery and long-term neurological morbidity of the offspring. Am J Perinatol 2021;38(3):278-282
-
Hill DA, et al. Shoulder dystocia: managing an obstetric emergency. Am Fam Physician 2020;102(2):84-90.
Consultez également nos articles sur : SSPI, simulation in situ, gestion des conflits