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Seconde Victime : Accompagner les Soignants

Bruno Debien

27/05/2024

La « seconde victime » : les soignants face aux événements indésirables graves liés aux soins

Comprendre le phénomène de la « seconde victime »

Les secondes victimes sont les professionnels de santé qui subissent un traumatisme émotionnel et psychologique à la suite d'un événement indésirable grave lié aux soins (EIGS). Ce terme, introduit par Albert Wu en 2000(1), décrit ceux qui, bien que non directement affectés physiquement, sont profondément marqués par les conséquences d'une erreur médicale.

Identification et impact sur les professionnels de santé

Plus de 50% des professionnels de santé et de 60% des médecins vivront l'expérience de seconde victime au moins une fois dans leur carrière(2). Les répercussions peuvent inclure la culpabilité, l'anxiété, et des syndromes de stress post-traumatique (SSPT). Les secteurs comme l'obstétrique sont particulièrement touchés en raison de la nature dramatique des événements impliquant des vies maternelles et fœtales(3).

Répercussions psychologiques et émotionnelles

Les impacts psychologiques des EIGS peuvent être sévères, entraînant des sentiments de honte, de peur et d'isolement, affectant à la fois la vie personnelle et professionnelle des soignants. Des études montrent que plus de la moitié des médecins américains ont rapporté au moins un symptôme de burnout après un EIGS. Le retentissement peut être important en cas de SSPT avec :

  • des symptômes intrusifs (souvenirs pénibles, rêves répétitifs, réactions dissociatives, détresse psychologique),
  • des stratégies d’évitement (pour éviter les souvenirs),
  • des troubles de l’humeur (croyances négatives : « je suis nul », dépression, détachement et éloignement des autres),
  • une hyperréactivité (colère, sursauts, hypervigilance, troubles du sommeil).

Comment les professionnels de santé gèrent-ils le traumatisme de seconde victime ?

description seconde victime

Les mécanismes de coping (capacité à faire-face) varient selon les individus, notamment pour ceux traumatisés par un événement imprévu et défavorable. Les professionnels expérimentés utilisent des stratégies telles que la discussion ouverte sur l'événement, la validation des décisions prises et la réassurance personnelle. Un environnement de travail non-punitif et soutenant est crucial pour une récupération efficace.

Le rôle du soutien institutionnel et collégial

Des programmes institutionnels existent comme à l’Institut Universitaire du Cancer de Toulouse (https://www.soutien-seconde-victime.fr/). D’autres ont été développés par des sociétés savantes comme la Société Française d’Anesthésie-Réanimation (https://sfar.org/wp-content/uploads/2020/05/fiche-cfar-seconde-victime.pdf).

Des associations offrent un soutien émotionnel et professionnel essentiel, aidant les soignants à traverser les conséquences des EIGS. C’est le cas par exemple des associations « MOTS » (association-mots.org) ou SPS (www.asso-sps.fr ou 0 825 23 23 36) Un soutien adéquat peut prévenir l'épuisement professionnel, améliorer la qualité des soins et soutenir la résilience des professionnels de santé.

Quelles sont les conséquences de l’expérience de seconde victime sur la pratique professionnelle ?

Impact négatifs sur la qualité des soins et la relation patient-soignant

Les EIGS peuvent diminuer la qualité des soins et affecter négativement la relation patient-soignant. Les soignants traumatisés peuvent éprouver des difficultés de concentration, une perte de confiance en eux-mêmes et développer des stratégies d’évitement qui impactent la prise en charge des patients.

Modifications des pratiques et approches préventives positive

Les soignants ayant vécu des EIGS peuvent aussi, s’ils ont « digéré » le traumatisme ou été bien accompagnés, modifier leurs pratiques pour éviter de futurs incidents : améliorations dans la communication, vigilance accrue, sécurisation des pratiques. Ces modifications sont essentielles pour améliorer la sécurité des patients et prévenir de futurs EIGS.

Prévention et interventions : comment aider les professionnels de santé à surmonter ce traumatisme ?

Programmes de soutien psychologique et formation

La mise en place de programmes de soutien psychologique est cruciale pour aider les secondes victimes. Des formations spécifiques peuvent préparer les soignants à gérer les EIGS et à utiliser des stratégies de coping efficaces.

situation seconde victime soignant

Mesures institutionnelles et politiques de santé

Les institutions de santé doivent adopter des politiques claires à la fois pour adopter une culture non punitive de l’erreur prenant en compte le « facteur humain » et pour soutenir les professionnels touchés avec mise en place de cellules d'écoute et de soutien psychologique. Ces mesures sont essentielles pour créer un environnement de travail sûr et non-punitif. Une étude a révélé que 90% des médecins estimaient que leurs organisations de santé ne fournissaient pas un soutien suffisant après un événement indésirable.

Importance de la communication et de la gestion d'erreur

La communication ouverte et la gestion appropriée des erreurs sont essentielles pour prévenir les traumatismes liés aux EIGS. Encourager la transparence et offrir un soutien adéquat peut réduire la sévérité des réactions de seconde victime. La divulgation ouverte et les débriefings sont de plus en plus reconnus comme des stratégies de coping et de récupération efficaces.

Quelles mesures de prévention peuvent être mises en place pour éviter les situations créant des secondes victimes parmi les professionnels de santé ?

Des stratégies de prévention incluent la formation continue, la sensibilisation à la gestion des erreurs et la mise en place de cellules de soutien psychologique. Les institutions de santé jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre de ces mesures et dans le soutien aux professionnels touchés.

Les programmes de sensibilisation et de formation pour les managers sont également essentiels pour créer un environnement de travail plus compréhensif et solidaire.

La simulation en équipe ou la simulation médicale qui permet d’améliorer la prise de conscience du facteur humain dans les soins, d’optimiser les compétences non techniques, d’habituer les équipes à la pratique des briefing et débriefings est un outil efficace. Elle a d’ailleurs prouvé son efficacité dans la diminution du stress au travail(4).

Conclusion

Le phénomène de la seconde victime est une réalité douloureuse du monde médical. Il est impératif de reconnaître et de prendre en charge les besoins des soignants affectés par des EIGS pour prévenir l'épuisement professionnel, améliorer la qualité des soins et soutenir la résilience des professionnels de santé. Des recherches supplémentaires et la diffusion de programmes de soutien sont nécessaires pour aider les soignants à se remettre des traumatismes liés aux erreurs médicales, particulièrement dans des domaines sensibles comme l'obstétrique.

 

                                                                      

                                                    



(1) Wu AW. BMJ 2000;320:726–7

(2) Scott, S.D, et al. Qual. Saf. Health Care 2009, 18, 325–330.

(3) Nydoo P, et al. Scand J Public Health. 2020;48(6):629-637.

(4) El Khamali R, et al. JAMA. 2018;320(19):1988-1997

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