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Simulation en anesthésie : faire face aux situations critiques

Bruno Debien

02/07/2024

LA SIMULATION EN ANESTHESIE

 

Les erreurs médicales, encore appelées événements indésirables liés aux soins sont reconnues comme l'une des principales causes de morbidité et de mortalité des patients hospitalisés. L’amélioration de la formation des soignants apparaît comme une des composants de l’amélioration de la qualité des soins en complément des interventions permettant d’optimiser les moyens mis en œuvre (matériel, personnel), les organisations (parcours patients, procédures) et les retours d’expérience (CREX et RMM). Depuis une vingtaine d’années, la simulation est apparue comme une des approches pédagogiques les plus efficaces. 

 

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HISTOIRE

 

Le premier mannequin de simulation réaliste d’anesthésie est apparu à la fin des années 1960 [1]. Il a néanmoins fallu attendre les années 1980 pour voir des mannequins de simulation techniquement performants reproduisant les réactions de vrais patients.

En 1979, la National Aeronautic and Space Administration a examiné le rôle de l’erreur humaine dans les accidents d’avion et a développé des formations comprenant le travail sur simulateurs de vol, l'utilisation de débriefings avant et après le vol, la mesure des performances de l'équipage de la compagnie aérienne et le développement des formations au travail en équipe dites « CRM » pour Crew Ressource Management [2]. Par la suite, contrairement au taux d’erreur croissant dans le secteur des soins de santé, le secteur aéronautique a connu une diminution significative des accidents. 

En 1999, le rapport de l'Institute of Medicine suggérait que l'erreur médicale était responsable de 100 000 décès par an aux Etats-Unis. Les cursus dans les facultés de médecine ou les instituts de formation paramédicale faisaient alors de l’apport de connaissances et des stages les moyens exclusifs d’améliorer les compétences des soignants et la sécurité des soins.

Par analogie avec le monde de l’aéronautique, l’Institute of Medicine a recommandé en 2000 l’établissement de programmes de formation d’équipe visant à améliorer les compétences techniques (connaissances théoriques, pratiques et opérationnelles) mais aussi les compétences non techniques en utilisant la simulation.

 

anesthésie en pédiatrie
  

LES COMPETENCES NON TECHNIQUES

 

Il s’agit des compétences cognitives et sociales non directement liées à l’exercice du métier ou à l’application des protocoles ou recommandations.

Rhona FLIN a proposé de les regrouper en quatre catégories qu’on appelle les NOTECHS (pour Non-Technical Skills[3].

  • Coopération
  • Leadership
  • Conscience de la situation
  • Prise de décision

 Ces mêmes compétences non techniques ont ensuite été déclinées pour les anesthésistes (ANTS : Anesthetists’ Non-Technical Skills [4]) et les chirurgiens (Non-Technical Skills for Surgeons’ [5])

 

LA SIMULATION EN ANESTHESIE

 

Quels types de simulation en anesthésie ?

 

La simulation procédurale

Elle a pour objectif d’enseigner un geste technique (pose de perfusion) ou encore l’utilisation d’un dispositif (vidéolaryngoscope). Comme tout activité de formation, elle repose sur la définition d’une compétence à acquérir et la définition d’objectifs pédagogiques. L’apprentissage du geste est réalisé en suivant une trame pédagogique (Nous utilisons le QPACRE : Quand, Pourquoi, Avec quoi, Comment, Risque, Efficacité par exemple).

La simulation procédurale est plutôt utilisée en formation initiale pour l’apprentissage de base, ou lors de l’introduction d’un nouveau dispositif ou d’une nouvelle technique en formation continue. Les simulateurs procéduraux sont caractérisés par un haut niveau de fidélité :

  • Les bras de perfusion pour apprendre la pose d’une voie veineuse périphérique présentent de nombreuses veines et donc de nombreux sites de pose et lorsque le mandrin pénètre dans la veine, un reflux dans le cathéter se produit, comme en vrai et on peut faire un reflux pour vérifier la bonne position du cathéter.
  • Les têtes d’intubation ont un haut niveau de réalisme anatomique et reproduisent la possibilité d’une erreur de pose de la sonde avec intubation œsophagienne.

 

La simulation numérique

Elle comprend l’immersion dans un environnement 3D, la simulation sur écran, la réalité virtuelle ou augmentée. Elle peut permettre de mobiliser ou tester des connaissances sans déplacer les apprenants ni utiliser des matériels réels.

 

La simulation pleine échelle avec des simulateurs patients

Les simulateurs patients sont des mannequins de haute technologie qui, pour les plus perfectionnés (dits « haute-technologie ») sont pilotés en wifi et parlent, respirent, saignent, transpirent, clignent des yeux, ont des pouls. On peut les ausculter, les perfuser, les intuber ou les défibriller. Ils peuvent, pour certains, présenter une cyanose ou être d’intubation difficile (en programmant une petite ouverture de bouche, une macroglossie et une raideur du rachis par exemple).

 

Comment se passe une simulation pleine échelle en anesthésie ?

 

L’environnement d’une salle d’opération est réaliste. On y trouve la table d’opération, le respirateur d’anesthésie, le système de monitorage (surveillance de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, des gaz anesthésiques et de la ventilation de la profondeur d’anesthésie ou de l’état hémodynamique, etc.) Du matériel chirurgical peut être aussi présent (en fonction du scénario).

Les participants peuvent donc être anesthésistes, chirurgiens, infirmiers de bloc ou infirmiers anesthésistes mais l’un de ces rôles peut être assuré par un formateur complice jouant un rôle dans le scénario au service de l’objectif pédagogique.

Le scénario commence après une présentation du patient (dossier d’anesthésie) et de la chirurgie. L’équipe se comporte comme avec un vrai patient et l’état du mannequin évolue en fonction du scénario et de la qualité de la prise en charge par l’équipe.

Le débriefing intervient après la fin du scénario. Tous les participants (actifs et « spectateurs ») analysent la prise en charge qui vient de se dérouler en essayant de dégager les points satisfaisants mais aussi les erreurs ou imperfections (écarts par rapport aux recommandations). L’objectif est de comprendre pendant cette démarche réflexive les raisons qui ont poussé les participants à prendre ou ne pas prendre telle ou telle décision sous l’angle des compétences techniques mais aussi non techniques.

 

médecin anesthésie

 

Avantages de la simulation en anesthésie :

 

Ils sont nombreux :

 

  • Aucun risque pour les patients
  • Possibilité de jouer de nombreuses situations cliniques (y compris des situations rares mais critiques dans lesquelles une réponse rapide est nécessaire) et de les répéter autant de fois que nécessaire.
  • Les participants peuvent voir les résultats de leurs décisions et actions (y compris inadéquates) sur l’évolution de l’état du patient (alors que dans la vraie vie, un renfort interviendrait et éviterait la dégradation de l’état du patient).
  • Des scénarios identiques peuvent être présentés à différents cliniciens ou équipes pour tester différents types de prises en charge.
  • Les mêmes scénarios peuvent être joués avec des niveaux différents de difficulté.
  • Les cliniciens peuvent utiliser des équipement médicaux réels pour les entrainer à leur utilisation mais aussi à mettre en évidence des limites de l’interface homme-machine.
  • Les interactions interpersonnelles avec les autres membres du personnel peuvent être explorées et optimisées (formation sur le travail d'équipe, le leadership et la communication).
  • Mettre en place une culture de sécurité (analyse des événements indésirables, utilisation des briefing et debriefings d’équipe).

 

Avantages de la simulation « in situ » en anesthésie

 

La simulation in situ est réalisée dans l’environnement de travail habituel des équipes d’anesthésie et non dans une reproduction de celui-ci. Les avantages sont nombreux :

  • Les soignants utilisent leur matériel et appliquent leurs procédures. La simulation permet donc de vérifier qu’ils les connaissent, savent les utiliser et pensent à le faire.
  • Ils travaillent avec leurs collègues dans leur locaux ce qui permet de développer leur compréhension des enjeux du travail d’équipe efficace et d’optimiser l’ergonomie.
  • Enfin de nombreuses études ont montré que les simulation in situ permettent de mettre en évidence d’éventuelles menaces latentes (dysfonctionnements potentiels ou avérés susceptibles de compromettre la sécurité des soins).

 

Limites de la simulation en anesthésie

 

  • Le coût des mannequins haute-technologie est élevé (de 50 à 250 K€) ce qui limite leur diffusion.
  • L’organisation d’une journée de simulation médicale est chronophage pour la création des scénarios et l’animation de la journée (mobilisation de 3 formateurs de la spécialité) or les ressources en formateurs experts en pédagogie par simulation sont limitées.

 

Limites du « in situ » en anesthésie

 

L’organisation des simulation dans un vrai bloc opératoire pose plusieurs types de problèmes :

  • Des problèmes de disponibilité de salle : le flux tendu de l’activité hospitalière rend difficile la programmation de la formation dans une salle libérée de toute activité.
  • Des problèmes de sécurité : le matériel sensible du bloc opératoire (défibrillateur, chariot d’intubation difficile, fibroscope bronchique) n’existe souvent qu’en un exemplaire et la priorité doit être donnée, bien sûr, aux vrais patients. L’utilisation de faux médicaments est à proscrire pour éviter que des « faux médicaments » se retrouvent dans le circuit des « vrais » ce qui nécessite donc l’utilisation de vrais médicaments (ce qui a un coût non négligeable).
  • Des problèmes d’hygiène : un protocole strict de décontamination du matériel de formation et de circulation dans le bloc doit être mis en place en rapport avec l’équipe opérationnelle d’hygiène.

 

CONCLUSION

 

La mortalité en anesthésie a été divisée par 10 en 25 ans. De nombreux facteurs ont permis cette réduction spectaculaire : la consultation d’anesthésie, l’analyse des accidents, la multiplication des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Nul doute que la simulation que cette spécialité a introduite la première il y a plus de 30 ans va permettre de réduire encore la survenue d’événements indésirables graves par l’amélioration des compétences techniques et non techniques des équipes !

 

Consultez également nos articles sur : simulation in-situ, formation gestion des conflitsformation de formateurs, ou encore réanimation néonatale.

 

 

 

 

 

 



[1] Denson JS, et al. JAMA 1969 ; 208:504–8

[2] Awad SS, et al. Am J Surg 2005 ;190 :770-74

[3] Flin R, et al. Human Factors and Aerospace Safety 2003 ;3 :97-119

[4] Fletcher G, et al. Br J Anaesth 2003 ;90:580–8

[5] Yule S, et al. World J Surg 2008 ;32 :548-56

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